Le bruit des pelleteuses vient interrompre, à intervalles réguliers, le calme plat de cette matinée de vacances. A Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), dans le quartier de la Maladrerie, les constructions et destructions d’immeubles font partie du paysage. « Depuis que j’y habite, j’ai l’impression que la cité est en travaux », s’amuse Nouria, 55 ans, dont vingt passés « à la Mala », comme on dit ici.
A l’extrémité est du quartier, au fort d’Aubervilliers, on a rasé près de la moitié de l’emblématique barre Grosperrin… Pour construire une tour plus moderne, à quelques mètres à peine. « On détruit des HLM pour reconstruire des HLM, poursuit Nouria. C’est plus beau, c’est vrai, mais qu’est-ce que ça change concrètement ? »
Dans la nouvelle tour, moins de la moitié des logements relèveront de l’habitat social. A l’échelle de la ville, 44,9% des logements entrent dans la catégorie habitation à loyer modéré (HLM). C’est près du double que ce que prévoit la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU). Votée en 2000, remodelée en 2013, elle fixe un quota minimum de 20% de logements sociaux pour chaque commune de plus de 3 500 habitants, 25% d’ici 2025.
« Dix ans d’attente » pour un logement en HLM
En 2016, un millier de villes, soit près d’un tiers des communes concernées, ne se sont toujours pas mises aux normes. A une dizaine de kilomètres d’Aubervilliers, dans le même département de la Seine-Saint-Denis, Vaujours (4,6% de logements sociaux), Gournay-sur-Marne (5%) ou Coubron (0% !) protègent ainsi fièrement leur statut de banlieue résidentielle huppée.
En conséquence, Aubervilliers fait face à « d’énormes listes de demandes pour le logement social, explique Soizig Nedelec, maire-adjointe (PCF) chargée du logement. Cela correspond parfois à dix ans d’attente. Si toutes les villes appliquaient la loi SRU, ça nous permettrait de faire redescendre la pression… »
Créteil (94) 44,2% / Saint-Maur 7%
Fontenay-sous-Bois (94) 32,7% / Vincennes 8,6%
Epinay-sur-Seine (93) 33% / Enghien-les-Bains (95) 9,5%
Taux de logements sociaux par ville. Source : DRIHL, 2014
Aubervilliers fait partie, année après année, des dix communes les plus pauvres du pays. Pour contrecarrer sa paupérisation, la mairie est priée de faire plus de mixité sociale. Soizig Nedelec explique : « On est embêté parce que l’Etat nous contraint à faire plus de PLS, la catégorie la plus chère du logement social. A Aubervilliers, on peut donc faire un T3 en logement social à 1 100€ par mois de loyer. Ça ne correspond pas du tout aux besoins de notre population. »
Résultat, la loi amène la commune de Seine-Saint-Denis à changer la sociologie de sa population. « Nous avions fait le choix d’un logement très social qui corresponde aux demandeurs d’Aubervilliers, poursuit l’élue. La mixité sociale qui nous est imposée nous oblige à faire partir des gens qui aiment la ville. » Comprendre : des habitants aux revenus trop modestes pour les nouvelles constructions imposées par l’Etat.
La nouvelle tour construite au fort d’Aubervilliers ne déroge pas à la règle. Sur les cinquante logements qui y ont déjà été attribués, onze seulement sont revenus à des habitants qui vivaient dans des HLM de la ville. « Dans les 8 000 demandeurs qu’on recense, peu sont originaires d’Aubervilliers, confirme Soizig Nedelec. Ce sont des gens désespérés qui font leurs demandes partout en Ile-de-France, alors même qu’ils n’ont pas vraiment envie d’habiter dans ces villes. »
Un gardien d’immeuble, qui refuse que l’on donne son nom, déplore : « On a détruit une barre et viré des familles nombreuses sans moyens, en leur disant : “Ne vous inquiétez pas, on va construire rapidement autre chose.” Sauf que l’autre chose, ce sont des immeubles où ils n’ont pas les moyens d’habiter. »
Pas loin de là, un logement social est ainsi resté vacant plusieurs mois, en attente d’un locataire. La municipalité n’a trouvé aucun candidat, dans ses listes parfois vieilles de huit ans, disposant de moyens suffisants pour y prétendre. Finalement, c’est un demandeur venu de l’extérieur qui a décroché le bail, après seulement… trois mois d’attente.
Les aspirants aux logements très sociaux se retrouvent bloqués par le mouvement à sens unique de la mixité sociale. « On veut bien faire l’effort qui nous est demandé, mais qu’on applique vraiment la loi à Neuilly, à Coubron et ailleurs, souligne Soizig Nedelec. Là, il y aura de la mixité sociale et ça constituera une forme de réponse à la crise du logement. Pour nous, c’est un vrai combat sur lequel on ne sera jamais résigné. »
Nouria raconte, elle, l’exemple de ces « familles qui sont obligées d’aller à Sevran, à Clichy ou encore plus loin de Paris pour trouver un logement avec un loyer décent. » D’autres sont contraintes d’avoir recours à des « marchands de sommeil » pour louer un parking, un logement exigu et souvent insalubre ou un squat. Victimes, bien malgré elles, d’une loi SRU dont l’application se fait attendre.
le taux de logements sociaux minimum pour chaque commune en 2025
Elle est pourtant affichée par le gouvernement comme une de ses priorités en matière sociale. « Notre responsabilité, la mienne, celle du gouvernement, c’est l’égalité entre les territoires, affirmait François Hollande en février 2015. Nous devons faire en sorte que cette loi soit strictement appliquée, que les communes ne puissent s’en dégager et, s’il le faut, les sanctions seront renforcées. »
Pourtant, ces sanctions financières ne sont pas toujours appliquées avec la plus grande sévérité par les préfets qui en ont la charge. Nombreuses sont les communes qui préfèrent afficher un taux de HLM outrageusement inférieur à celui de villes limitrophes et s’acquitter de l’amende prévue. Le coût social reviendra bien, lui, aux communes respectueuses de la loi.
Crédit photo : © Ilyes Ramdani